Groundation "We Free Again"
Après le remarqué "Hebron's Gate" l'année dernière, Groundation revient et frappe très fort avec ce "We Free Again". Cet album est le dernier né d'une discographie d'une qualité rare. Les amateurs de roots qui ne connaîtraient pas encore Groundation ne sont pas à l'abri d'une révélation à l'écoute du magistral Praising qui ouvre cet album. Ces six Californiens prolongent véritablement les possibilités du roots en terme de composition musicale. La plupart des membres du groupe sont issus du jazz, pourtant les références à ce répertoire peuvent sembler discrètes. Elles sont décelables dans les harmonies, les structures, les modulations et certaines atmosphères sans pour autant 'compromettre' un reggae conquérant ancré dans le roots reggae 70's.
Cet album ressemble à ce qu'on appellerait dans un autre répertoire, un album-concept. Les morceaux s'imbriquent parfaitement et développent des thèmes complémentaires autour de Rastafari, des injustices, de l'unité. Les lyrics sont fournis et on constate que le chanteur Harrison Staffords s'illustre aussi bien sur papier qu'au micro. Sa voix particulière est à entendre et ses impros révélatrices d'un certain talent. Le son du skank est inspiré Wailers et, en ce sens, très efficace. La section cuivres est très réussie et le choix des instruments traduit une vraie recherche de timbre. On aperçoit ainsi un violoncelle, un sax baryton, une flûte traversière et de nombreuses percussions (congas, djembés, quika…). Les sons de claviers (Orgue B3, Rhodes, piano, clavier analogique…) participent à la chaleur qui se dégage de l'opus. Les morceaux sont musicalement très subtils et il est bon d'entendre un reggae qui ne raisonne pas qu'en terme de 'riddim'. Parmi les meilleurs moments, on citera le Suffer the Right où Apple Gabriel (très présent sur l'album) et Don Carlos se partagent les vocals. Music is the Most High ou encore Fourth Dimension. On notera des subtilités musicales étonnantes comme un nyabinghi sur cinq temps dans Dem Rise ou un riddim jazzy improbable sur le Cultural Wars II où le sax se lance dans un solo frôlant le free jazz.
S'il on parle souvent des membres de Groundation comme de jazzeux, il ne faut pas les associer aux jazzmen jamaïcains qui ont enfanté le ska comme Drummond, Mc Cook, Mitoo, Dizzy Moore… Le discours musical est bien plus influencé par le jazz de Miles Davis, Steve Coleman ou Keith Jarrett. Le Cultural Wars IV qui finit dans une transe de clavier le prouve. Un album de très bon roots reggae en tous cas. Il trouve facilement sa place parmi les dix meilleures sorties roots de l'année 2004. Des points négatifs ? Il en a évidemment mais la performance artistique est globalement très réussie. Le projet Groundation est l'un des plus prometteurs depuis 1998.